Une présence dérangeante

La neige commençait à fondre tranquillement, au gré de la température instable du printemps. Du creux d'un ravin, de légers filets de fumée s'échappaient et montaient paisiblement pour se fondre dans les ténèbres de la nuit.

Un petit chemin façonné avec le temps parcourait le flanc ouest du gouffre, où quelques rares arbustes et arbres en piteux état essayaient tant bien que mal de survivre. Au pied de ce chemin de pierre se trouvais un pont, fort vieux et rustique, mais qui semblait néanmoins en bon état. Celui-ci menait à une grande bâtisse, dont l'accomodement semblait avoir pris le dessus sur l'esthétique lors de sa construction.

Plusieurs lattes du toit étaient manquantes ou brisées, peu de fenêtres étaient présentes sur le bâtiment et celles-ci étaient étroites, ressemblant étrangement à des meutrières. De la structure se dégageait une odeur d'humidité et de pourriture se mélangeant aux odeurs saisonnières; le bois ayant subit les ravages du temps mais dans les endroits affaiblis par celui-ci, on avait renforcé à nouveau la structure.

De cette bâtisse ce dégageait une caractéristique que nul ne pouvait ignorer. Elle était belliqueuse et ses habitants devaient l'être autant. Elle avait été bâtie à cet endroit pour en faciliter la défense et pour décourager ses potentiels agresseurs. Du moins, c'est ce que l'on pouvait se permettre de penser.

Cette nuit là, tout était tranquille. De la lumière et quelques éclats de rires provenaient de l'intérieur, mais à l'extérieur tout était d'un ennui mortel. Le vent s'était essouflé pendant la journée et maintenant il ne faisait que caresser les rochers et le visage de Zhar' Merah, descendant d'un air déterminé le chemin menant au pont.

L'éclat de la pleine lune laissait entrevoir ses traits elfiques, mais également la légère teinte assombrissante de sa peau. Ses cheveux d'un blanc aux reflets métalliques étaient placés avec soin, disparaissants sous le manteau finement travaillé de la femme. Son col, qui était retroussé et les pointes saillantes, venait encadrer son délicat visage. Le contour de ses yeux était sombre et laissait contraster ses yeux verts qui déchiraient la nuit, la guidant sans jamais la tromper.

Alors qu'elle traversait le pont, le vent souffla violemment pendant quelques secondes. Elle s'arrêta net, reconnaissant le message. Cette petite rafale n'avait rien d'étrange, hormis la direction d'où elle venait... le vent provenait directement de la rivière qui coulait sous le pont. Elle se pencha et regarda en bas du pont, d'où on pouvait voir quelques récifs sur lesquels l'eau se heurtait.

Xibalba...

Elle reprit son chemin et cogna sèchement à trois reprises sur la porte de bois. Les sons se cessèrent et on entendît de lourds pas s'approcher de la porte. Une lisière s'ouvrit et l'on pouvait y voir les sourcils broussailleux et les yeux méfiants d'un orque s'y présenter.

Que voulez-vous?

Il joncha la femme de la tête aux pieds et d'un mépris total, il lui lança:

Vous n'avez rien à faire ici! Repartez d'où vous venez avant de vous attirer des ennuis.

Il referma aussitôt l'ouverture dans un bruit retentissant. Zhar' Merah ne broncha pas et resta bien en place, le dos dans une posture bien droite. Elle ne cogna pas à nouveau, elle attendait. Profitant du moment de calme, elle tendit l'oreille et entendit exactement ce qu'elle prévoyait... Un homme bien saoûl qui voulait s'amuser à humilier le premier drow passant par là.

Laisses-là entrer la pauvre! AHAHAH!!! On va bien rire! Ce qu'elle a du culot de se présenter ici cette garce!

La porte s'ouvrit bien grande, laissant place à un ivrogne dans un lamentable état. Sans attendre qu'il l'invite à entrer elle passa le seuil de la porte. Celui-ci lui cracha au visage, mais faisant mine de rien et gardant la tête bien haute, elle se dirigea à la première table et s'asseya. Le premier étage de ce bâtiment semblait être entièrement occupé par cette salle, mis à part les cuisines d'où s'échappaient les effluves de la nourriture en pleine conception. Elle sortit un fin mouchoir et essuya son visage, alors que les deux personnes assis à la même table se levèrent pour aller en joindre une autre.

Le silence régnait dans la salle et toutes les personnes présentes avaient le regard rivé sur l'elfe noire. Non seulement sa race était peu appréciée, mais une femme dans une taverne n'était que rarement toléré. L'homme lui ayant ouvert la porte passa près d'elle et elle se leva subitement, manquant de peu de renverser la chaise. D'un ton implaccable elle lui dit:

Paies moi à boire, à manger et mon logis pour cette nuit. Tu n'es qu'une saleté d'humain mais j'accepterai par pitié pour toi. Je suis certainement la seule femme en ce monde qui acceptera quelque chose venant de ta misérable personne, sale bâtard ignorant! Profites de cet instant pour faire de toi un homme... un vrai...

Elle se rassit tout de suite après l'avoir giflé avec ses paroles et les rires dans la salle fusèrent. Certains continuèrent à narguer le pauvre homme et le manège reprît de plus belle lorsqu'une assiette et une bière furent déposées à la table de l'elfe noire par l'orque l'ayant conseillé de déguerpir un peu plus tôt. Après lui avoir lancé un regard hargneux, il s'en retourna à sa besogne.

Elle savoura le moment, faisait fî des gens la dévisageant et savoura son repas et sa bière. Sa posture était toujours impeccable et elle avait les manières des nobles à sa façon de manger et de se tenir, ce qui en faisait rire plus d'un. Son hôte ne l'avait pas quitté des yeux depuis qu'il avait retrouvé sa place à une table, et son regard était des plus noir. Il fini par se lever et à se diriger prestemment vers la sortie.

Zhar' Merah se leva à son tour et alla à sa suite à l'extérieur. Lorsqu'elle sortît l'air était plus fraid et humide qu'à son arrivée. L'homme était maintenant à mis chemin sur le pont. Elle le héla en s'engageant sur la passerelle à son tour.

Attends!

Il se retourna, un peu surpris de la voir venir à sa rencontre. Elle s'arrêta à quelques pieds de lui.

Je voulais te remercier... et m'excuser de t'avoir ridiculisé devant tes amis. Je crois de plus que je te dois quelque chose.

Elle eût un large sourire, le voyant déstabilisé par son intervention...

Le lendemain matin, on trouva son corps brisé sur les récifs en bas du pont. Nul n'osa parler de cet incident, puisque peu de temps avant d'aller se coucher elle avait présenté les documents portant le sceau de Chess, confirmant son adhésion à l'Union Vénale, à la grande surprise, bien que muette, de tous...